Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. Tout ne s’est pas passé exactement comme prévu cette première semaine… Nous voilà malgré nous installés confortablement pour quelques jours dans une jolie GuestHouse du port de Västervik en Suède. Face à la marina de Slottsholmen, les enfants font leurs devoirs sous le regard attentif de Claire. Pendant ce temps je regarde ma main gauche : à côté d’un auriculaire gonflée et douloureux, une grosse poupée cache le bout de mon annulaire, désormais raccourci de quelques centimètres. Autre constat : l’eau de la mer Baltique en ce début juin est encore très froide…
Bref, tout ne s’est pas passé comme prévu.


Revenons quelques jours en arrière, avant notre départ de La Rochelle. Etant donné le contexte sanitaire actuel et les différentes restrictions et conditions de circulation qui sévissent en Europe, nous devons composer avec pas mal de contraintes pour ce convoyage par la route :
– Interdiction de passer une nuitée touristique en Allemagne.
– Obligation d’un test PCR Négatif de moins de 48h pour entrer sur le territoire Suédois (et d’après le site de l’Ambassade de France en Suède, on ne transige pas avec cette règle).
L’équation est compliquée, mais sur le papier « ça passe » !
Le lundi 3 mai, dès la levée des restrictions de circulation en France, nous sommes à 8h au test Covid « drive » de La Rochelle. A 9h, la remorque et le bateau sont attelés, et nous quittons le quartier de La Pallice pour entamer notre périple de 2 000 kilomètres.

Une première journée où nous restons concentrés pour apprivoiser cette nouvelle remorque. Je suis seul à pouvoir conduire l’attelage, mais Claire s’occupe de l’ensemble de la logistique et les enfants et moi ne manquons de rien : petits cafés à volonté, M&M’s, programmation musicale à base de podcast originaux de France Inter. Il fait grand beau, pas de vent, les kilomètres défilent ! Après un contournement pénible de Paris (c’est un pléonasme), cap vers la Belgique. Nous arrivons dans un hôtel proche de l’aéroport de Charleroi vers 19h30 où nous passons la nuit.
Lendemain matin, mardi 4 mai 2021. D’après Ti’Paul : « les belgicains sont très sympas« . Les enfants adorent dormir à l’hôtel. Ça leur rappelle leurs excursions avec Mamie Christine pendant les vacances. Ce matin, il pleut et le vent souffle fort. La dépression est arrivée en Mer du Nord et s’installe pour quelques jours en se déplaçant vers le Danemark. Après quelques kilomètres, notre belle voiture rouge a des problèmes. le compte-tours s’emballe plusieurs fois, sans action de ma part sur l’accélérateur… L’embrayage sur lequel nous avions quelques doutes juste avant notre départ a des faiblesses. Nous l’avions pourtant fait tester par notre garagiste. Celui-ci par téléphone nous conseille de nous arrêter quelques jours pour réparer. Il ne nous reste que quelques kilomètres pour nous décider, car, si nous nous arrêtons en Allemagne, c’est quarantaine obligatoire de 10 jours pour tous. Claire passe quelques coups de fil aux garages à proximité de Liège et explique notre situation : pas de place avant le 25 mai… Quelques échanges rapides entre nous, et nous décidons de finalement poursuivre la route. Peut-être qu’en cas de casse de l’embrayage, les 80km/h de vent qui souffle par l’arrière nous porterons jusqu’en Suède 😉 Pour se remonter le moral et se changer les idées, nous continuons la série de podcast originale de France Inter consacrée à Napoléon : « l’Homme qui ne meurt jamais » (on vous la conseille).
Vers midi, au niveau de Düsseldorf, nous voilà pris au piège sur un échangeur d’autoroute qui rend fou ! En suivant le GPS, nous faisons le tour des bretelles, une par une, dans un sens puis dans l’autre, comme prisonnier d’un dessin aux perspectives impossibles d’Escher. Nous comprenons finalement que la suite de l’autoroute est fermée aux véhicules de plus de 3,5T, information qui, en allemand, nous avait échappée plus tôt… Demi-tour ! Claire nous trouve un itinéraire alternatif plus au nord, grâce à une bonne vieille carte papier. Les enfants restent cool malgré ce détour de près de 100kms, et nous relançons la motivation par quelques épisodes de podcast des Odyssées et de Olma.
Vers 19h30, nous gagnons enfin le nord de l’Allemagne et les rives de la mer Baltique à Travemünde, où nous devons embarquer sur le ferry TTLine de 22h en partance pour Trelleborg en Suède. Dernier suspens de la journée : la voiture -et son embrayage fatigué- pourra t-elle monter la longue et pentue rampe d’embarquement ? Sous les encouragements des dockers, nous embarquons finalement sans encombre à bord. L’intérieur du ferry est magnifique, Claire et les enfants « se croient sur le Titanic« . Je leur rappelle rapidement le destin funeste de ce dernier, et après avoir déposé nos affaires dans notre cabine, nous gagnons le bar situé sous la passerelle pour profiter d’un verre bien mérité en famille. Nous nous endormons ensuite bercés par le doux ronflement des moteurs et le très léger roulis du ferry malgré les 35 noeuds qui soufflent dehors.





Au réveil, nous sommes en Suède ! Nous débarquons du ferry et regagnons la terre ferme et le poste de contrôle des douanes. Nous sommes le mercredi 5 mai, il est 7h43, soit 47 heures et 43 minutes après notre test PCR réalisé à La Rochelle le lundi matin. Les douaniers manquent de s’étrangler en constatant ce timing très serré, et, avec un large sourire, nous ouvrent la barrière. 17 minutes plus tard et nous étions bons pour reprendre le ferry en sens inverse. Quelques kilomètres plus loin, premier arrêt dans une station essence suédoise. Mes yeux s’émerveillent : des saucisses grillent sur un barbecue à l’intérieur de la station et nous pouvons enfin nous débarrasser des masques et profiter des sourires des suédois !
C’est fatigués mais « gonflés à bloc » que nous reprenons la route pour cette dernière étape du convoyage, au son des « Aventures rocambolesques d’Edouard Baer et de Jack Souvant« . C’est un podcast complètement foutraque d’Inter, qui débouche les oreilles ! A 16h nous arrivons à notre destination, point de départ de notre aventure à la voile : la Marina de Slottsholmen à Västervik. L’embrayage a tenu bon ! Quelques minutes suffisent pour rencontrer notre contact sur place, Andreas, directeur de la Marina. 1 heure plus tard, la remorque et le bateau sont garés en attente du grutage prévu le lendemain, et nous nous installons pour une nuit à la GuestHouse située sur le port. Le soir même nous redécouvrons un plaisir trop longtemps oublié : un bon resto !




Jeudi 6 mai au matin, nous suivons Andreas avec la remorque jusqu’à un petit chantier naval situé au sud de Västervik. En quelques minutes le bateau est à l’eau. Nous nous équipons et commençons à préparer le bateau afin de le ramener par la mer à la Marina. Les enfants jouent entre les bateaux en bois posés à terre pendant que Claire et moi nous attaquons à la fixation du moteur hors bord, déposé de sa chaise pour le transport. En le pré-positionant, le moteur glisse de son logement vers l’arrière et une partie de ma main gauche se retrouve coincée entre le moteur et la chaise. En quelques dixièmes de seconde, je bascule à la mer avec le moteur, suivi juste après par Claire qui tente encore de le rattraper. Je ne sais pas ce qui m’a le plus surpris : la morsure de mon premier contact avec la mer Baltique, le bruit du moteur qui se remplit d’eau, ou la sensation de fort pincement sur mon doigt ? Quelques minutes plus tard, avec l’aide des anciens du chantier, nous sommes sur la berge en sécurité, le moteur est ramené à bord, mais nous sommes trempés et j’ai visiblement une fracture ouverte de l’annulaire de la main gauche. On reste calme, on rassure les enfants, et me voilà parti vers l’hôpital, dégoulinant dans le break Volvo du propriétaire du chantier, suivi par Claire -elle aussi mouillée- et les enfants dans notre voiture.

Nous sommes parfaitement accueilli à l’hôpital de Västervik. COVID oblige, Claire et les enfants ne peuvent me suivre à l’intérieur et retournent à l’hôtel. Après un bilan radio et quelques discussions entre les médecins, tous s’accordent pour privilégier l’amputation de la phalange touchée. Une anesthésie locale, un rapide « au revoir » amical à mon bout de doigt, et quelques points de suture plus tard, toute la famille est à nouveau réunie devant l’hôpital. Avant de regagner l’hôtel, nous faisons un crochet par le chantier naval pour ranger un peu le bateau et récupérer des affaires et des chaussures sèches restées à bord. C’est en pyjama offert par l’hôpital que je m’offre malgré tout une photo souvenir de cette journée « de merde« .

Un immense « merci » aux anciens du chantier, à Andreas et toute l’équipe de la Marina pour leur aide dans cette mésaventure. Grâce à eux, le bateau est maintenant à quai à la Marina, tranquillement en attente de son équipage. Nous nous sommes installés pour la semaine à la GuestHouse, en attente d’une consultation de contrôle avec le chirurgien jeudi 13 mai. Les enfants profitent de l’ambiance locale et des ballades sur les dalles de granite en bord de mer.




Cet accident va bien évidemment modifier nos plans initiaux pour les quelques jours/semaines à venir. L’avantage d’un voyage de quatre mois, c’est qu’on a du temps ! Rassurez-vous, je suis loin d’être abattu et compte bien ne pas en rester là. On a déjà plein d’idées pour nous occuper pendant le temps de cicatrisation nécessaire avant de pouvoir prendre la mer. On vous tiens au courant ! D’ici là, si parmi mes amis grimpeurs, certains ont le numéro de téléphone du grimpeur américain Tommy Caldwell, je suis preneur ! J’aurais surement besoin de ses conseils pour me remettre à l’escalade avec une phalange en moins 🙂 Et comme dirait Nietzsche « Amor Fati » !